Grâce accordée à Moussa Dadis Camara : les parties civiles dénoncent un affront à la justice

La grâce présidentielle accordée à Moussa Dadis Camara, condamné à 20 ans de prison pour crimes contre l’humanité dans le cadre du massacre du 28 septembre 2009, par le général Mamadi Doumbouya, suscite une vive controverse au sein de la communauté des défenseurs des droits de l’homme. Cette décision, prise le 28 mars par le président de la transition en Guinée, met un terme au processus judiciaire en cours et ravive les tensions autour de la lutte contre l’impunité. Dans un communiqué rendu public ce mardi, la FIDH, l’OGDH et l’AVIPA expriment leur profonde indignation et très vive incompréhension face à cette décision justifiée par les autorités guinéennes par de raisons de santé.

L’ancien chef de la junte, reconnu coupable en juillet 2024 en tant que commandant en chef des forces armées, avait fait appel de sa condamnation de 20 ans de prison ferme. Alors que l’ouverture de son procès en appel était attendue, la grâce présidentielle annule de fait toute procédure en cours.

Indignation des parties civiles

Pour les représentants des victimes, cette mesure est un coup dur porté à la justice. « Cette grâce suscite une très grande incompréhension des parties civiles, car elle interrompt de facto le processus de justice et apparaît en totale contradiction avec les principes encadrant la séparation des pouvoirs et la bonne administration de la justice », dénonce Me Alpha Amadou DS Bah, président de l’OGDH et avocat des parties civiles.

L’argument avancé par les autorités, invoquant l’état de santé de l’ex-dirigeant, est jugé infondé. « Il existe d’autres dispositions légales permettant une prise en charge médicale dans le cadre de la détention », rappelle l’avocat, soulignant que de telles mesures ne nécessitaient pas une annulation de la condamnation.

La douleur des victimes

Pour les familles des victimes du massacre, l’annonce de cette grâce a provoqué une onde de choc. « Pendant 22 mois, les victimes ont tenu bon dans l’espoir d’une justice complète. Aujourd’hui, elles voient cet espoir anéanti », regrette Asmaou Diallo, présidente de l’AVIPA. « Alors qu’on leur annonce la prise en charge de leur indemnisation par l’État, elles apprennent dans le même temps la libération de l’un des principaux responsables des atrocités qu’elles ont subies. C’est un double coup porté à leur combat pour la vérité et la justice », ajoute-t-elle.

Me Drissa Traoré, secrétaire général de la FIDH et avocat des parties civiles, abonde dans le même sens. « Cette grâce envoie un signal désastreux : un mépris total des principes fondamentaux de justice, de responsabilité et de lutte contre l’impunité ».

Un précédent inquiétant

Le massacre du 28 septembre 2009 reste l’un des événements les plus sombres de l’histoire récente de la Guinée. Ce jour-là, une manifestation pacifique en faveur d’une transition démocratique avait été réprimée dans le sang au stade de Conakry. Au moins 156 personnes avaient été tuées, des dizaines portées disparues et plus d’une centaine de femmes avaient subi des violences sexuelles.

Le procès, ouvert en septembre 2022 après treize ans d’attente, avait été salué comme une avancée historique dans la lutte contre l’impunité. La condamnation de plusieurs hauts responsables militaires et politiques, dont Moussa Dadis Camara, marquait un tournant pour la justice guinéenne.

Mais cette grâce présidentielle remet en cause cet acquis et interroge sur les engagements de la Guinée au regard du droit international, estiment les parties civiles. Le statut de Rome instituant la Cour pénale internationale (CPI), auquel la Guinée est partie, impose en effet aux États de juger et sanctionner les auteurs de crimes graves.

Quelles suites possibles ?

Les organisations de défense des droits humains, dont la FIDH, l’OGDH et l’AVIPA, entendent explorer toutes les voies de recours disponibles, aussi bien au niveau national qu’international. La Cour pénale internationale pourrait revoir son évaluation de la complémentarité du processus judiciaire guinéen si elle estime que cette grâce compromet gravement la recherche de justice.

Alors que la Guinée était félicitée pour avoir conduit ce procès jusqu’à son verdict, cette décision présidentielle pourrait durablement ternir son image et relancer le débat sur l’impunité des crimes d’État. Pour les victimes et leurs avocats, la bataille judiciaire est loin d’être terminée.

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