Réunis en sommet extraordinaire ce 14 décembre, les Chefs d’État de la Confédération des États du Sahel (AES) – regroupant le Mali, le Burkina Faso et le Niger – ont décidé de maintenir leurs frontières ouvertes aux ressortissants des pays membres de la CEDEAO. Cette décision intervient à la veille de la 66e session ordinaire de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO), prévue ce dimanche à Abuja, où le retrait des trois pays saheliens sera au centre des discussions.
Une stratégie face à l’enclavement
La décision des dirigeants de l’AES de préserver la libre circulation des personnes et des biens dans l’espace CEDEAO, malgré leur « décision irrévocable » de quitter l’organisation, révèle une stratégie visant à limiter les conséquences économiques et sociales de leur isolement. En effet, le retrait effectif de ces trois pays, prévu pour janvier 2025, soulève de nombreuses incertitudes, notamment en raison de leur enclavement géographique et de leur dépendance aux échanges régionaux.
Les juntes militaires, dirigées par le général Assimi Goïta (Mali), le capitaine Ibrahim Traoré (Burkina Faso) et le général Abdourahmane Tiani (Niger), cherchent manifestement à éviter un blocage qui pourrait asphyxier leurs économies et accentuer le mécontentement populaire. En annonçant leur volonté de ne pas imposer de visas aux ressortissants de la CEDEAO, les dirigeants espèrent une réciprocité de la part de l’organisation sous-régionale, malgré les textes qui prévoient que les citoyens des États ayant quitté la CEDEAO perdent leurs droits de libre circulation.
Une décision aux enjeux multiples
Pour les juntes sahéliennes, ce pari est double. D’un côté, elles ambitionnent de s’affranchir des pressions politiques de la CEDEAO, perçues comme une menace à leur survie politique, notamment en raison des exigences liées à la tenue d’élections et au retour des civils au pouvoir. De l’autre, elles souhaitent éviter des mesures restrictives qui isoleraient davantage leurs populations, un scénario qui pourrait alimenter le mécontentement et affaiblir leur autorité.
Mais cette posture soulève des interrogations. La CEDEAO acceptera-t-elle de maintenir les avantages de la libre circulation aux populations de ces trois pays, alors même que leurs dirigeants rejettent les obligations de l’organisation en matière de démocratie, de bonne gouvernance et de droits humains ?
Une tension croissante au sein de la CEDEAO
La session d’Abuja s’annonce tendue. Les dirigeants de la CEDEAO, qui doivent examiner le rapport de la mission confiée au président sénégalais Bassirou Diomaye Faye, pourraient se heurter à des divergences internes. Si des alliés comme le président togolais Faure Gnassingbé plaident en faveur des régimes militaires sahéliens, d’autres États membres insistent sur la nécessité de respecter les principes fondamentaux de l’organisation.
Une issue intermédiaire, comme la prorogation du délai de retrait du Mali, du Burkina Faso et du Niger, est également envisagée. Cette option, soutenue par le Parlement de la CEDEAO, permettrait de maintenir le dialogue tout en évitant une rupture brutale.
Entre isolement et pragmatisme
Pour les populations sahéliennes, victimes collatérales des choix de leurs dirigeants, l’enjeu est immense. Privées de mécanismes démocratiques et d’un avenir économique clair, elles risquent de payer le prix d’une confrontation prolongée entre leurs États et la CEDEAO.
La décision des Chefs d’État de la Confédération des États du Sahel apparaît ainsi comme une fuite en avant : une tentative de concilier l’inconciliable – préserver les avantages de l’intégration régionale tout en s’émancipant des règles communes. Reste à voir si cette stratégie portera ses fruits ou si elle précipitera un isolement encore plus grand des pays sahéliens.
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