Procès de Bangaly Traoré, l’assassin d’Adama Konaté : retour sur un féminicide qui a choqué l’opinion publique guinéenne

Le Tribunal de première instance (TPI) de Kankan a jugé ce mardi 08 avril 2025 Bangaly Traoré pour l’assassinat d’Adama Konaté, une commerçante tuée le 20 mars dernier en pleine journée. Ce procès très attendu, s’est tenu sous haute surveillance et a retracé en détail les circonstances du crime avant de se conclure par un verdict sévère. Dans cet article, nous vous proposons de revenir sur ce féminicide qui a choqué l’opinion publique en Guinée.

Les circonstances du crime

Le drame s’est noué le 20 mars 2025, en pleine journée, au marché Dibida de Kankan (quartier Bananköröda). Armé d’un couteau, Bangaly Traoré, un chauffeur âgé d’une trentaine d’années, a surgi sur les lieux et a violemment poignardé Adama Konaté à divers endroits du corps, alors qu’elle tenait son étal de riz. La victime, mère de famille, s’est vidée de son sang et est décédée sur place des suites de ses blessures. Des témoins rapportent qu’avant de passer à l’acte, Bangaly Traoré aurait lancé en langue maninka à l’adresse d’Adama : « Je t’avais prévenue que si tu refuses de te marier avec moi, je te tuerais ». Le meurtre a donc été commis sur fond de jalousie et de ressentiment, Adama Konaté ayant repoussé la demande en mariage de son agresseur. En effet, Bangaly Traoré entretenait une relation avec elle et n’aurait pas supporté son refus de l’épouser, d’autant qu’il l’accusait récemment d’infidélité.

Profils de la victime et de l’accusé

Adama Konaté, environ 40 ans, mère de six enfants, était une commerçante (vendeuse de riz), veuve, bien connue sur le marché Dibida de Kankan. Elle était décrite comme la compagne de Bangaly Traoré au moment des faits. Son refus de s’engager plus dans cette relation – elle ne souhaitait visiblement pas devenir sa troisième épouse – serait à l’origine du drame. Son assassin a reconnu devant le tribunal qu’elle venait de mettre un terme à leur aventure.

Bangaly Traoré, la trentaine, chauffeur de profession, est marié à deux (autres) femmes et père de sept enfants. Malgré cette situation familiale d’apparence stable, il aurait développé une obsession pour Adama Konaté. L’accusé était par ailleurs connu pour son tempérament violent et instable. Selon plusieurs sources, il n’en était pas à sa première tentative pour attenter à la vie d’Adama. La victime avait déjà subi des agressions de sa part. A la barre pendant son procès, il a reconnu qu’à trois reprises leurs disputent avaient fini à la gendarmerie. Ce qui laisse penser que le drame du 20 mars était malheureusement l’aboutissement d’une escalade annoncée.

L’arrestation du meurtrier

Juste après le meurtre, Bangaly Traoré a été arrêté sur les lieux du crime qu’il n’a vraiement pas cherché à fuir. Sous le choc, des jeunes présents sur le marché se sont violemment saisis de lui, le rouant de coups jusqu’à ce qu’il lâche son arme. L’agresseur avait entre-temps avalé de l’herbicide dans une tentative de suicide immédiatement après avoir poignardé sa victime. Immobilisé par la foule en colère, il a été remis aux forces de défense et de sécurité arrivés sur les lieux.

Une fois Bangaly Traoré placé en garde à vue, le parquet du TPI de Kankan a réagi avec fermeté. Le procureur de la République, Marwane Baldé, a qualifié les faits de « crime crapuleux » en relevant la préméditation évidente de l’acte. En effet, tout indiquait que le suspect avait planifié son geste – il s’était procuré à l’avance le couteau ayant servi au crime ainsi qu’un flacon d’herbicide pour tenter de se donner la mort après son acte – et mis ses menaces à exécution. Il a donc immédiatement été inculpé pour assassinat – le terme juridique pour un meurtre avec préméditation – et écroué dans l’attente de son jugement. Le procureur a assuré qu’une enquête exhaustive serait menée rapidement afin de traduire le coupable en justice dans les plus brefs délais, conformément à la volonté des autorités de réprimer sévèrement ce type de crime.

Une ampleur nationale

Parallèlement, l’affaire a pris une ampleur nationale en raison de son caractère tragique. Une vidéo amateur de la scène, montrant l’auteur aux côtés de sa victime ensanglantée, a largement circulé sur les réseaux sociaux, provoquant l’indignation générale à travers le pays. De nombreux citoyens et organisations de la société civile ont réclamé justice pour Adama Konaté. Le ministère de la Promotion féminine, de l’Enfance et des Personnes vulnérables s’est notamment signalé en annonçant son intention de se constituer partie civile dans le procès, qualifiant le meurtre de féminicide et exprimant sa détermination à voir l’auteur puni conformément à la loi.

Déroulement du procès

Le procès de Bangaly Traoré s’est ouvert ce mardi 8 avril 2025 devant le Tribunal de première instance de Kankan, délocalisé pour l’occasion dans la grande salle de la Cour d’Appel de la ville afin d’accueillir le public venu nombreux. L’audience s’est déroulée dans un climat tendu mais calme, sous haute surveillance des forces de l’ordre.

Bangaly Traoré, en larmes dans le box des accusés lors de l’ouverture de son procès, est apparu extrêmement ému et bouleversé, au point de fondre en larmes avant même le début des débats. Menotté et le regard perdu, il a essuyé ses yeux avec un mouchoir, ce qui a suscité une certaine émotion parmi l’assistance présente dans la salle d’audience. Interrogé sur son identité et les faits qui lui sont reprochés, l’accusé n’a pas cherché à nier. Il a au contraire reconnu sa culpabilité d’emblée, déclarant en maninka « n’sön ya rö » (littéralement : « J’ai ma part de responsabilité dans cette affaire »). « Je reconnais les faits, je demande pardon », a-t-il affirmé en substance devant le tribunal, exprimant des remords face aux proches de la victime.

Au fil de son audition, Bangaly Traoré a livré sa version des événements qui ont conduit au passage à l’acte. Le jour du crime, a-t-il raconté, Adama Konaté aurait refusé qu’il s’asseye près d’elle sur son lieu de travail. Ce qui aurait déclenché une dispute et nourri sa colère. Frustré et convaincu que sa compagne envisageait de le quitter pour un autre prétendant, il a quitté les lieux pour se procurer une arme. Dans un état de jalousie extrême, il a acheté un couteau de cuisine (pour 20 000 francs guinéens) et un flacon d’herbicide, avec la sombre intention de « tuer Adama puis de [se] tuer ». Il est ensuite revenu vers Adama Konaté et l’a agressée. Selon son propre récit, il lui a asséné plusieurs coups de couteau, puis a immédiatement bu le poison devant témoins, pensant mettre fin à ses jours. « Après l’avoir poignardée, j’ai bu l’herbicide, mais je ne savais pas que ce produit ne pouvait pas me tuer » racontera-t-il, soulignant que le pesticide ingéré n’a eu pratiquement aucun effet sur lui. Ce témoignage détaillé de l’accusé a corroboré en grande partie les éléments réunis par l’enquête, notamment les déclarations des témoins oculaires et la vidéo du crime partagée sur les réseaux sociaux.

Dans la suite des débats, le ministère public (représenté par le procureur Marwane Baldé) a maintenu la qualification d’assassinat avec préméditation pour ces faits particulièrement graves. L’accusation a insisté sur le caractère planifié et atroce du meurtre, rappelant que l’accusé s’était muni à l’avance d’une arme blanche et de poison dans le but explicite de donner la mort. Le procureur a requis une peine exemplaire, en l’occurrence la plus sévère prévue par le Code pénal guinéen, estimant que cet acte de violence conjugale extrême – commis de surcroît en plein mois de Ramadan – a profondément choqué la communauté. En face, la défense de Bangaly Traoré n’a pu qu’invoquer les regrets sincères de ce dernier. Son avocat (ainsi que l’accusé lui-même) a souligné la coopération et les remords de Bangaly, qui a demandé pardon à plusieurs reprises et attribué son geste à un « moment d’égarement » sous l’emprise d’une pulsion incontrôlable. Aucune contestation des faits n’ayant été formulée, le rôle de la défense s’est surtout limité à plaider des circonstances atténuantes liées à l’état d’esprit de l’accusé, sans toutefois minimiser la gravité de l’acte.

Verdict et condamnation

Après les délibérations, le verdict est tombé : Bangaly Traoré a été reconnu coupable du meurtre avec préméditation d’Adama Konaté, conformément à ce qui lui était reproché. En conséquence, le tribunal l’a condamné à la réclusion criminelle à perpétuité, c’est-à-dire la prison à vie, avec une période de sûreté de 30 ans, ainsi qu’au paiement d’une amende de 3 milliards de francs guinéens pour dommages et intérêts à la famille de la défunte. Cette peine est la plus lourde que prévoit la loi guinéenne pour un crime d’assassinat, et elle avait d’ailleurs été annoncée comme la sanction encourue dès l’ouverture de l’enquête. La sentence prononcée par le Tribunal de première instance de Kankan satisfait pleinement les réquisitions du parquet, qui avait appelé à appliquer la loi dans toute sa rigueur dans cette affaire. Elle répond également à l’attente de la partie civile et de l’opinion publique, qui exigeaient une justice exemplaire pour ce féminicide. « Il s’agit d’un assassinat avec préméditation (…) Une réponse pénale appropriée sera apportée, afin de satisfaire la population et de rétablir les victimes dans leurs droits », avait déclaré le procureur Marwane Baldé peu après le crime. Le jugement rendu ce 8 avril vient donc concrétiser ces engagements : Bangaly Traoré passera vraisemblement le reste de sa vie en prison pour avoir ôté celle d’Adama Konaté.

Il est à noter que, conformément au droit, le condamné a la possibilité de faire appel de cette décision. Toutefois, au vu de ses aveux clairs et de la gravité des faits établie, une éventuelle procédure en appel semble peu susceptible d’aboutir à une issue différente. En l’état, la condamnation à perpétuité de Bangaly Traoré marque la fin de ce procès retentissant en première instance.

Réactions du public et des autorités

Cette affaire a provoqué de vives réactions aussi bien parmi la population que du côté des autorités et organisations de la société civile. Sur le moment, l’assassinat d’Adama Konaté avait suscité une véritable fureur populaire à Kankan. De nombreux témoins et riverains, choqués par la scène, avaient tenté de faire justice eux-mêmes en s’en prenant à Bangaly Traoré avant son arrestation. L’un d’eux raconte que, pris d’une envie de vengeance, il a voulu arracher le couteau des mains de l’agresseur pour « venger la victime », et que seul l’intervention d’un militaire sur place l’en a empêché. Très vite, des appels ont été lancés pour que le meurtrier soit traduit en justice « rapidement et sans délai ». Par ailleurs, la diffusion en ligne des images insoutenables du crime a amplifié l’émoi bien au-delà de Kankan : la vidéo virale montrant Adama Konaté agonisante aux côtés de son bourreau a indigné l’opinion publique dans tout le pays. Des messages de compassion pour la victime et de colère contre les violences faites aux femmes ont afflué sur les réseaux sociaux, réclamant une réponse judiciaire exemplaire. La famille d’Adama Konaté, sous le choc, a bénéficié d’un large élan de solidarité.

Les autorités guinéennes ont unanimement condamné cet acte barbare. Dans un communiqué officiel, la ministre de la Promotion féminine, Charlotte Daffé, a exprimé son indignation face à ce meurtre qu’elle a qualifié de féminicide. Elle a fait part de sa profonde tristesse, adressé ses condoléances à la famille d’Adama Konaté, et réaffirmé son engagement à lutter contre toutes les formes de violences basées sur le genre. Son ministère s’est constitué partie civile dans le procès pour soutenir les droits de la victime. De son côté, le procureur Marwane Baldé avait, dès le lendemain du crime, fermement promis qu’une réponse pénale appropriée serait apportée. Il a publiquement assuré que le procès serait organisé dans les plus brefs délais et que la peine maximale serait requise contre l’auteur des faits. Cette diligence a été rendue possible avec l’appui du ministre de la Justice, et saluée par les acteurs locaux. En effet, la société civile de Kankan, par la voix de la Maison des Associations et ONG de Guinée (MAOG), a loué la promptitude avec laquelle le dossier a été instruit et jugé. Elle y a vu le signe d’une volonté de justice exemplaire, tout en appelant la population au calme et à faire confiance au tribunal pendant toute la durée de la procédure.

Enfin, de nombreuses organisations de défense des droits humains et associations féminines ont fait entendre leur voix. L’Organisation guinéenne de défense des droits de l’homme (OGDH) s’est dite scandalisée par ce crime atroce et a affiché sa détermination à se porter partie civile également si nécessaire, afin que plus jamais un tel drame ne se reproduise. Ce meurtre a relancé le débat national sur les violences faites aux femmes. Le parquet de Kankan, conscient de la portée symbolique de l’affaire, a adressé un message à l’opinion : il a présenté ses condoléances aux femmes de Guinée, en particulier à celles de Kankan, affectées par ce drame, et a réaffirmé son engagement à appliquer la loi dans toute sa rigueur pour punir ce genre de violences. L’issue du procès – la condamnation à perpétuité de Bangaly Traoré – a été accueillie avec soulagement par beaucoup comme une victoire de la justice. Elle restera comme un signal fort envoyé à tous ceux qui s’en prennent aux femmes alors que les violences envers les femmes se sont multipliées dans le pays ces derniers mois : de tels actes ne resteront pas impunis.

Thierno Diallo (@cireass)

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