La Guinée enregistre une chute brutale de 25 places dans le classement 2025 de la liberté de la presse publié ce 02 mai 2025 par Reporters sans frontières (RSF), se retrouvant au 103ᵉ rang mondial contre la 78ᵉ position l’année dernière. Une régression vertigineuse qui en dit long sur la détérioration de l’environnement médiatique dans notre pays.
Deux années de contraste, une descente confirmée
En 2023, la Guinée occupait la 85ᵉ place du classement mondial. En 2024, une légère progression l’avait hissée au 78ᵉ rang, nourrissant un certain espoir au sein des professionnels des médias. Mais l’année écoulée, marquée par une série de décisions autoritaires et de violations répétées des droits de la presse, a inversé la tendance.
La date du 22 mai 2024 marque un point de rupture. Ce jour-là, les autorités guinéennes ont ordonné la fermeture de plusieurs médias privés, parmi les plus influents de la Guinée : les radios Espace FM, FIM FM, Djoma FM, Sweet FM et les télévisions Espace TV et Djoma TV. Depuis plusieurs mois, leurs signaux étaient déjà brouillés dans la région spéciale de Conakry, privant les citoyens de leurs programmes. Le motif officiel avancé pour le retrait de leurs licences ? Un prétendu non-respect du cahier de charges. Mais pour de nombreux observateurs, il s’agissait surtout de réduire au silence des organes de presse critiques vis-à-vis de la transition.
Cette vague de suspensions a mis au chômage des centaines de journalistes et techniciens, tout en réduisant considérablement la pluralité des voix dans l’espace médiatique guinéen.
Retrait des chaînes privées des bouquets Canal+ et StarTimes
Déjà, le 7 décembre 2023, la Haute Autorité de la Communication (HAC) avait exigé le retrait de trois de ces chaînes — Djoma TV, Espace TV et Évasion TV — des bouquets Canal+ et StarTimes. Le président de la HAC justifiait cette décision par la nécessité de préserver la paix publique, pointant des contenus qu’il jugeait nuisibles à la cohésion nationale. Cette mesure s’est traduite par un élargissement de la censure audiovisuelle.
Et entre le 24 janvier et le 10 avril 2024, les Guinéens ont été privés d’accès aux principaux réseaux sociaux, notamment WhatsApp, Facebook, Instagram, TikTok et YouTube. Cette interruption, officiellement justifiée par des « impératifs de sécurité », n’a fait l’objet d’aucune décision judiciaire publique. Ce blocage prolongé a directement entravé le travail des journalistes et freiné la circulation de l’information en Guinée.
Harcèlement et disparition de journalistes
Le 3 décembre 2024, le journaliste d’investigation Habib Marouane Camara a été enlevé par des hommes armés à Lambanyi, dans la banlieue de Conakry, alors qu’il avait rendez-vous avec l’homme d’affaires Kerfalla Person Camara (KPC) au domicile de celui-ci, selon des proches du journaliste. Spécialisé dans les affaires politiques et surtout voix critique de la junte militaire du Général Mamadi Doumbouya, il reste introuvable à ce jour. Son cas est devenu emblématique des risques encourus par les journalistes dans l’exercice de leur métier.
Le 19 janvier 2024, Sékou Jamal Pendessa, secrétaire général du Le Syndicat des professionnels de la presse de Guinée (SPPG), est arrêté et détenu à la prison centrale de Conakry pendant plus d’un mois. Son crime : avoir appelé à une manifestation pacifique pour défendre la liberté de la presse et demander la réouverture des médias suspendus.
Quelques mois plus tôt, en octobre 2023, une manifestation de journalistes à Conakry avait été violemment dispersée par les forces de l’ordre. Une douzaine de professionnels avaient été brièvement interpellés alors qu’ils réclamaient le rétablissement du site d’information Guineematin.com, censuré sans aucune décision légale.
Un impact économique dramatique
Au-delà de l’atteinte aux libertés, la répression a eu des conséquences économiques graves. En deux ans, près de 700 emplois auraient été perdus dans le secteur des médias privés en Guinée. Face à la fermeture de chaînes, au retrait des fréquences et à l’asphyxie publicitaire, plusieurs entreprises de presse ont réduit leurs effectifs ou suspendu leurs activités. Cette précarisation fragilise encore davantage l’indépendance éditoriale.
La presse en résistance, le gouvernement dans le silence
En mai 2023, les principales organisations de presse ont désigné plusieurs membres du gouvernement comme « ennemis de la presse ». Une journée « sans presse » a été organisée dans tout le pays pour alerter sur le danger croissant qui pèse sur l’information libre et indépendante.
Au moment de la rédaction de cet article, aucune réaction officielle n’a été formulée par les autorités guinéennes suite à la publication du classement 2025.
Une sonnette d’alarme
Ce nouveau classement place désormais la Guinée à la traine des pays où la liberté de la presse est véritablement respectée. Il devrait constituer un signal d’alarme pour une transition censée restaurer l’ordre constitutionnel et garantir les libertés fondamentales.
Depuis plusieurs mois, les organisations de journalistes et les défenseurs des droits humains appellent à la levée des censures, à la réouverture des médias suspendus ainsi qu’à une enquête sérieuse sur la disparition de Habib Marouane Camara.
À travers cette chute historique dans le classement mondial, c’est l’image d’une démocratie en construction qui vacille, alors que les autorités de la transition parlent de refondation. La presse, pilier du débat public, ne peut continuer à évoluer sous la menace sans mettre en péril l’avenir démocratique de la Guinée.