Ce lundi 24 mars 2025, l’Angola a annoncé sa décision de se retirer de la médiation dans le conflit qui ravage l’est de la République démocratique du Congo (RDC), entre l’armée congolaise et les rebelles du M23. Cette annonce intervient dans un contexte de tensions croissantes et d’échecs répétés dans les tentatives de mettre fin à ce conflit qui a fait depuis décembre des milliers de morts et des centaines de milliers de déplacés, parmi la population civile.
Or, depuis 2022, l’Angola jouait un rôle clé de médiateur dans ce conflit, en cherchant à instaurer un dialogue d’une part entre la RDC et le Rwanda, et d’autres part Kinshasa avec les rebelles de l’Alliance du fleuve du Congo/Mouvement du 23-Mars (AFC/M23). Mais après des mois de négociations infructueuses, Luanda a officialisé, à travers un communiqué de la présidence angolaise, sa décision de se retirer de la médiation. Le régime du président João Lourenço annonce désormais de concentrer son pays sur d’autres priorités, notamment son mandat à la présidence de l’Union africaine (UA).
Mais pourquoi l’Angola a-t-il décidé de mettre fin à sa médiation après tant d’efforts diplomatiques ? Quels sont les facteurs qui ont conduit à cette décision ? Et comment la récente intervention du Qatar, en tant que médiateur, peut-il avoir influencé cette évolution ? Ce sont ces questions que Les Perspectives proposent de répondre dans cet article.
Une médiation qui n’a jamais pu s’imposer efficacement
Depuis 2022, l’Angola a assumé la médiation dans le conflit opposant la RDC et le Rwanda, deux pays voisins pris dans la spirale de violences récurrentes à l’est de la RDC. Sous la présidence de João Lourenço, le pays s’est engagé à maintenir des discussions entre les parties concernées, tout en soutenant les efforts de l’Union africaine (UA) pour établir une paix durable au Congo. Cependant, malgré plusieurs cycles de négociations, ces tentatives ont échoué à apporter des résultats concrets. Le 15 décembre 2024, une rencontre tripartite en Angola entre les présidents Félix Tshisekedi (RDC), Paul Kagame (Rwanda) et le médiateur João Lourenço (Angola) a été annulée en raison du refus de la délégation rwandaise d’y participer. Ce refus était lié à l’exigence du Rwanda d’un dialogue direct entre Kinshasa et les rebelles du M23 avant toute signature d’accord de paix. Une condition que la délégation congolaise avait rejetée à l’époque. Le dernier échec majeur s’est produit la semaine dernière suite au retrait de dernière minute du M23 des pourparlers prévus à Luanda. Le groupe rebelle, soutenu par le Rwanda selon les Nations-Unies, qui joue un rôle central dans l’aggravation du conflit dans l’est de la RDC, a justifié sa décision prise le 17 mars 2025, par des sanctions imposées quelques heures plutôt par l’Union européenne à des responsables militaires rwandais.
Les discussions tenues, bien qu’initialement perçues comme une opportunité de désescalade, ont échoué à aboutir au retour à la paix dans l’est du Congo, en raison de divergences profondes entre les belligérants. Le M23 avait rejeté toute tentative de cessez-le-feu, insistant sur le fait que ses revendications n’étaient pas prises en compte, tandis que la RDC, de son côté, avait catégoriquement refusé de dialoguer avec un groupe qu’elle qualifie de “terroriste”. Ce climat d’impasse a sans doute incité l’Angola à réévaluer son rôle de médiateur, surtout à la lumière de l’évolution de la situation sur le terrain.
Le retrait du M23 et les nouvelles priorités de l’Angola
Le retrait du M23 des pourparlers a probablement été un facteur décisif dans la décision de l’Angola de se retirer de la médiation. Ce groupe rebelle, qui contrôle une grande partie de l’est de la RDC, continue sa progression. Une posture expansionniste qui exacerbe les tensions à la fois avec le gouvernement de Kinshasa mais aussi entre le Rwanda et la Communauté internationale. Le 17 mars 2025, le Rwanda a rompu ses relations diplomatiques avec la Belgique et expulsé tous ses diplomates présents dans le pays des Grands Lacs.
Cette situation a profondément fragilisé les efforts angolais de médiation. Ainsi, après plusieurs mois de discussions infructueuses, Luanda a décidé qu’il était nécessaire de se concentrer sur d’autres priorités, notamment la présidence angolaise de l’Union africaine, une responsabilité croissante qui nécessite une grande attention.
Le choix de renoncer à son rôle de médiateur, après plusieurs cycles de négociations infructueuses, semble donc découler d’une double réalité : l’échec des négociations de paix et la nécessité de se focaliser sur des défis diplomatiques plus larges. Mais ça ne se limite pas qu’à cela…
La médiation du Qatar, un affront à l’Angola ?
Si l’émergence surprise du Qatar comme médiateur dans le conflit a ajouté une nouvelle dynamique au processus de paix, elle a aussi perturbé l’Angola. Le 18 mars 2025, le Qatar a facilité une rencontre tenue secrète entre les présidents de la RDC, Félix Tshisekedi, et du Rwanda, Paul Kagame. Cette rencontre, organisée sous la supervision de l’émir Sheikh Tamim bin Hamad Al Thani, a abouti à un engagement pour un cessez-le-feu immédiat et inconditionnel, marquant sur papier un tournant majeur de la crise. Mais si cet accord a été salué par la communauté internationale, le M23 a rejeté cet appel, soulignant que ses préoccupations n’avaient pas été abordées.
Mais le rôle du Qatar a été perçu comme un défi à l’approche angolaise, d’autant que l’intervention a eu lieu sans consultation préalable des acteurs africains, alimentant ainsi un sentiment de marginalisation au sein du pays. D’après le ministre des Relations extérieures de l’Angola, Téte Antonio, le président Lourenço a exprimé sa surprise concernant l’initiative qatarie. Aujourd’hui, Luanda milite pour qu’un pays africain reprenne le rôle de médiateur entre les belligérants.
Certes le Qatar revendique une position diplomatique neutre, toutefois, il ne faut pas négliger ses ambitions d’accroître son influence diplomatique en Afrique subsaharienne et de diversifier ses partenariats internationaux. Il a des intérêts économiques aussi bien au Rwanda qu’en République démocratique du Congo. L’entrée en scène surprise du Qatar pourrait bien avoir été perçue comme une humiliation de la part de l’Angola dans le cadre de ses efforts diplomatiques. Ce, même si en raison des échecs successifs dans sa médiation, Luanda était tenté d’abandonner sa mission (impossible).
Un conflit qui peine à trouver une issue pacifique
La situation sur le terrain reste extrêmement volatile. Le groupe M23 a élargi ses zones de contrôle, occupant depuis le 13 mars Walikale, une ville stratégique et riche en minerais, après avoir conquis Goma et Bukavu ces derniers mois. En dépit de l’annonce de son retrait de la localité samedi dernier, cette ville est toujours sous le contrôle des insurgés.
Pendant que les tentatives de négociation continuent de se heurter à des obstacles, la population civile continue d’être prise au piège dans un conflit interminable.
Le retrait de l’Angola de la médiation témoigne donc de la difficulté de trouver une solution durable dans un environnement aussi chaotique et complexe. Si les initiatives extérieures, comme celles du Qatar, pourraient apporter un vent de changement, elles doivent encore surmonter les multiples obstacles politiques et militaires présents sur le terrain.
Thierno Diallo (@cireass)