
Ce soir de Novembre 2011, par curiosité, je décide de me rendre compte de la raison pour laquelle certains de mes amis sont devenus des accros du poodha. Ce chant folklorique Peul qui transforme, dès que la nuit tombe sur Conakry, les principaux bars en des grands cabarets.
23 heures. C’est heure retenue pour le départ. A ce moment, tout est prêt avec les deux motos que nous comptons emprunter pour ce petit trajet long d’une dizaine de kilomètres.
Sur la route, l’obscurité est quasi-totale seuls les phares de rares véhicules encore en circulation et les torches des forces de sécurité forment des îlots de lumières au milieu d’un océan obscure.
Au niveau de tous les points stratégiques de la ville des barrages nocturnes sont érigés pour officiellement maintenir la sécurité et la quiétude dans la cité. D’ailleurs, c’est comme ça depuis l’attaque contre la résidence privée du Président guinéen, le 19 juillet 2011 à Kipé, dans la banlieue nord de Conakry, jusqu’à ce 5 juin 2O12, date à laquelle un chauffeur de taxi brousse fut exécuté sur un barrage routier, à Mamou, par un caporal-chef.
Au niveau de ces barrages nocturnes qu’on devait traverser avant de rejoindre dudit bar, les arrêts sont obligatoires. Les gendarmes et les policiers, ensemble, ils fouillent toutes les voitures (sièges et coffres inclues) et vérifient l’identité de ses occupants. Ceux qui n’ont rien à se reprocher, et dont la carte nationale d’identité est présentée, sont laissés poursuivre leur chemin. Par contre, pour ceux qui n’en ont pas, pas de souci majeur hein, un billet de dix milles francs glissé dans la main d’un gendarme ou policier suffira pour changer son statut d’un clandestin à celui d’un homme ordinaire en conformité avec la loi comme les autres. Et nous, tous les papiers (carte d’identité) ainsi que les cartes grises et les vignettes pour les motos, aucune absence n’ était à déplorée. Donc rien à priori ne devait nous retarder pour arriver à notre destination finale : un bar à Sangoya. Quelques instants plus tard, nous arrivons sur le lieu. Un bar situé au bord de le route sur la Transversale 4, reliant la route Le Prince à l’Autoroute Fidel Castro . A l’extérieur, une foule grandiose est au rendez-vous. Les morceaux du moment de Rica, Alphadjo Dara et autres se font entendre dans les voitures et sur les téléphones portables souvent «Made In China» de certains mélomanes.
Bienvenue dans une soirée 100% loisir version poodha!
La rentrée est gratuite même si la consommation, elle, reste obligatoire. Quelques pas en avant, direction l’intérieur du cabaret. Aussitôt entré, aussitôt surpris, d’abord une forte chaleur y règne; la sueur s’aperçoit sur tous les fronts. Certaines personnes ont des habits mouillés. La température est supérieure à 30°C. Bien qu’il pleuvait quelques minutes auparavant, la chaleur ne fait aucune pitié d’après le constat de nombreuses personnes présentes sur place. Mes amis (Saïdou et Amadou) et moi-même prenons position juste devant le Nyamaka (le chanteur) et sa troupe invités pour diriger la fête. Ici, on y trouve les personnes de presque toutes les générations (jeunes, moins jeunes, adultes…vieux) et de tous les bords (hommes, femmes, riches et moins riches).
Ensuite, vient cette séance de démonstration ; si dans un champ de bataille les affrontements se font à coups de fusils et de lances roquettes, ici, ce sont les billets de banques qui constituent le principal type d’arsenal. Les nyamakalas avec leur dédicace ruineuse se battent pendant une bonne partie de la nuit pour satisfaire ”les personnes généreuses” et surtout pour gagner beaucoup plus d’argent. Avec leur capacité de convaincre, parfois ils vont jusqu’à vider indirectement le contenu de toute une poche de la personne à la recherche de reconnaissance.
Voilà des scènes qui m’ont un tout peu étonné puisque dès qu’on sort ici, rares sont ces personnes qui accepteront de contribuer un sou pour une cause humanitaire alors que dans ces lieux, ce sont les kouyaté (référence aux billets de dix milles francs émis sous la gouvernance de Lansana Kouyaté, premier ministre entre 2007 et 2008) qui sont utilisés comme énergie pour bien animer les soirées. Des purs gaspillages qui ne dérangent pas grand monde. En tout cas, les chauffeurs de camions sont les détenteurs du record dans les jets de pognons au cours de ces soirées. Il semblerait que c’est dans les mosquées ou autres lieux publics que se raconte la vie chère. Pas ici. J’ai même demandé à certaines personnes qui connaissent parfaitement ces genres de soirées si c’est comme que ça se passe à chaque retrouvaille. Sans grande surprise leur réponse fut de ”oui”.
Au cours de la même soirée, une femme qui dansait à coté de nous ( Amadou, Saidou et moi), arriva à déterminer ma méconnaissance du lieu à travers ces multitudes de questions que posais-je et ce manque de réactivité de ma part (en fait je ne dansais pas quoi), et soudain je l’entend dire à sa copine «Wobbè no dhoo a innaye ko handè bhè foudhi arougol èh dhoun», entendez par là : (Il y a quelqu’un ici, il paraît que c’est sa première fois de venir dans un cabaret où se joue le poodha). Vous savez, elle a dit cela avec l’intension bien sûre de se moquer de moi, mais qu’à cela ne tienne mon unique objectif était ce jour-là, de s’enquérir de la réalité afin de pouvoir témoigner par mes propres yeux de cette belle ambiance qui y règne et non de blaguer ou pas selon leur façon de faire. Pendant toute la soirée, je n’ai été auteur de presque rien hormis les regards curieux.
Sur les raisons de cette montée en puissance du poodha, il faut y chercher du coté du développement socio-politique des dernières années. Tout d’abord avec le massacre du 28 septembre en 2009 dans lequel plus de 150 civils ont péri et que par la suite l’événement a eu l’étiquette des vieilles querelles ethniques qui minent la Guinée depuis plusieurs décennies. Puis, à l’arrivé au pouvoir d’Alpha Condé, avec les tensions connues avant et après son élection en 2010, certains ont jugé nécessaire de s’approcher à leurs valeurs de civilisation et culturelle. Chez les soussous nous avons le «Sabar». Les malinkés, les forestiers et les autre chacune de ces communautés a c’est qui lui est propre.
Aujourd’hui, le poopdha est l’espace privilégié des chanteurs pour préparer leurs prochains albums. C’est ici aussi que les forts mangent les faibles en s’emparant des chansons chantées par ces derniers pour faire leurs propres albums. Les droits d’auteur même si ça existe, toutes les créatures n’en bénéficient pas de la protection.
Les stars de la musique originaires du Fouta Djalon participent toutes à l’animation de ces soirées poodha. Eh oui, ce n’est pas Lama Sidibé qui me contredira. Les tubes les plus populaires du moment restent ”wata yangano mo faalaakama” (ne te sacrifie pas pour une personne qui t’aime pas) ou encore ”kèlè an kèlaama” (on m’a arraché la copine) que chaque chanteur interprète à sa façon.
Les principaux lieux comme on les appelle sont entre autres Albanie, Kosovo (mais ne n’est pas en ex-Yougoslavie hein, plutôt à Conakry, en Guinée), Grand Moulin, Ka daalouwal, Sangoyah ka capitaine Rashida, etc. Ses propriétaires se frottent les mains ; grâce au poodha, les affaires sont florissantes. Depuis ce jour, j’ai récidivé six fois dans des endroits différents et ça fait du grand plaisir.
D’autre le résume même en cette phrase : «Quand ta femme s’habitue à te laisser au lit pour aller dans l’un de ses cabarets, dis-toi clairement que tu l’as perdu». Mais là, je ne pense pas si cela doit s’appliquer uniquement aux femmes car les hommes piqués par cette ambiances sont eux-aussi difficilement contrôlables.
Par cireass
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Pas mal! Beaucoup de précisions.
Belle plume Monsieur Diallo, tu nous a fait revivre cette fameuse danse culturelle peuhl en ajoutant de l’esthetique; bien qu’il ya toujours quelque chose a dire sur le poodha! En avant mon cher ami.