Guinée : malgré le lever des barrages routiers, les rackets continuent !

Crédit photo: acturoutes.info

Au lendemain de l’assassinat  lâche et ignoble d’Ibrahima Diallo, un chauffeur  de taxi, qui se rendait à Labé par un caporal-chef, qui réclamait le payement de la modeste somme de 2 000 GNF (environ 200 FCFA) pour liberer le passage à la rentrée de la ville de Mamou en juin 2012, le ministre délégué à la Défense nationale et son homologue de la sécurité avaient décidé de lever tous les barrages routiers, sur toute l’étendue du territoire national, à l’exception de Kaka et de Kouriyah afin de faciliter la libre circulation de personnes et de leurs biens.

Six mois après la rentrée  en vigueur  de cette décision ministérielle,    comment est la situation sur le terrain ? 

Lors de mon voyage à Labé,  je me suis intéressé au sujet. Et le constat est plein de pessimisme ; les barrages ont été levés mais les rackets continuent de la plus belle des manières.  En effet, tout laisse à penser que cette décision avait été prise juste pour calmer la colère des transporteurs qui commençait de prendre l’air d’un soulèvement populaire.  Des Forces de sécurité battant le record du monde dans les catégories ”barbarie” et ”corruption”, une population désemparée par la pauvreté grandissante, une jeunesse qui ne rêve que de sortir du pays, une justice sur laquelle une bonne partie de la population y voit la mainmise de l’exécutif : voici la  Guinée !

Les chauffeurs exercent leur métier dans un calvaire quasi-absolu.  Chacun a son propre témoignage, bien que liés par un même mode opératoire. « Au carrefour de Matoto (une commune de la capitale, NDLR), un policier m’intime l’ordre de m’arrêter. Quand je me suis arrêté, il m’a notifié que  la couleur de mon véhicule n’est pas jaune foncée (couleur imposée à tous véhicules pour les transports en commun, NDLR) donc non conforme à la loi. Nous engageons alors une négociation qui a pris fin lorsque j’ai glissé discrètement dans sa main un billet de 5 000 GNF comme “prix de l’eau glacée”… Mais ce que je n’arrive toujours pas à oublier jusqu’à présent dans cette histoire, c’est le fait que je n’étais en aucun cas en infraction », se souvient Djouma.

Mais pourquoi acceptent-ils de payer même lorsqu’ils ne sont pas en infraction ?

 Selon les personnes que j’ai interrogées, il  n’y a nulle part pour se plaindre. « On n’a pas d’autre choix. Nous leur donnons un peu, et puis, ils nous laissent passer. Si nous contestons leur demande, ils nous confisquent les papiers, et nous coupent des reçus qui coûtent entre 50 000 et 100 000 GNF ; avec à la clé : plusieurs heures de retard.  C’est payer ou payer, car de toute façon nous paierons. Dans ce cas moi, je  préfère laisser 5 000 GNF à chaque fois qu’ils me contrôlent. Parce que cela me permet de gagner en temps et surtout  d’échapper à la  verbalisation », explique un autre chauffeur rencontré sur le trajet. A la question de savoir combien ces contrôles coûtent aux transporteurs au cours d’un voyage, par exemple sur le tronçon Conakry-Labé, Djouma  qui frise la soixantaine répond  sans ambigüité : « Aucun chauffeur ne peut dire avec exactitude combien lui  coûte un voyage… Retenez tout simplement qu’à chaque contrôle nous déboursons en moyenne 5 000 GNF ». Pour lui, la situation actuelle ressemble aux moments sombres de la première République sous Ahmed Sekou Touré.

Sur les routes guinéennes, il se passe des choses dignes dans un film de mafia. L’argent est la clé de la vérité.  Cependant, on ne peut pas parler de corrompu sans évoquer le nom du corrupteur, les responsabilités doivent être partagées entre les deux, car ils s’arrangent. Certains reconnaissent avoir « graissé » au moins une fois les dents d’un policier. « Quand le policier m’avait demandé les papiers, je lui ai tendu 3 000 GNF en plus du portefeuille qui contenait la carte crise et mon permis ; subitement, il me siffla de mettre l’argent dans le permis avant de lui donner.  Après avoir fait ce qu’il avait dit, il me lança : “ah toi même tu sais que tu es dans les normes et tu me fais encore perdre du temps, allez bonne journée ! », se souvient  Abdoulaye, un  chauffeur de taxi à Conakry  qui reconnait que l’assurance  qu’il avait  souscrite pour son « taxi-chéri »  était arrivée à son terme.

Si les forces de sécurités s’en réjouissent de équipements offerts par les autorités, il n’en est pas du même enthousiasme chez les transporteurs. Ces derniers déplorent  que la “Brigade Mobile”  ait été récemment  équipée en matériel très performant : des motos grosse cylindrée. «  Avant la venue des motos grosse cylindrée, on pouvait refuser parfois de s’arrêter sans aucune possibilité d’être rattrapés, mais aujourd’hui gare à quelqu’un de foncer au niveau d’un contrôle. Même après dix minutes, ils peuvent le rattraper », explique Alpha, locataire d’un mini bus.

Aujourd’hui, il est peu probable que la “Brigade mobile”  et les autres policiers  qui sont sur le terrain puissent veiller sur la lutte contre le trafic  de  produits  prohibés, dans la mesure où ces agents ne s’intéressent généralement qu’à l’argent que les transporteurs leur laisseront, ce qui favoriserait le vol de véhicule en Guinée. Des médias locaux font état  de la localisation en Sierra Léone  de nombreux véhicules dérobés à Conakry,  dont  celui de Paul Cole tué au même  moment  que madame Aissatou Boiro, l’ex-Directrice Nationale du Trésor  abattue en novembre dernier en plein Conakry. Selon des observateurs, les braqueurs bénéficient de complicité au sein des Forces de sécurité, ce qui fait qu’en général ils  ne sont jamais inquiétés. Tant pis pour les victimes !

Par cireass
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